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L’enseignement de Maud, entre danse et spiritualité

Maud s’est rendu à Jodhpur pour enseigner des danses bouddhistes au cours d’un stage de quatre jours.

Parfois, danser n’est pas qu’une succession gracieuse de mouvements. Parfois, nous dansons pour exprimer nos émotions. Parfois même, elle sert à transmettre un savoir. Pour Manjushree, la danse représentait un moyen d’atteindre l’éveil. Le but d’une vie, ou de plusieurs, de tout bouddhiste. Manjushree croyait que l’éveil pouvait être atteint en une seule vie, non en plusieurs, et pour cela, il transposa son savoir à travers la danse. Chaque mouvement est un enseignement et il faut choisir de suivre ce chemin tracé pour devenir un initié. On l’appelle le bouddhisme vajrayâna, à l’opposé du bouddhisme mahayana qui estime qu’il faut plusieurs vie pour atteindre l’éveil.

C’est le choix qu’a fait Maud il y a près de 20 ans. « J’ai commencé la danse à 4 ans, je faisais du ballet néo-classique. A 8 ans une danseuse professionnelle m’a repérée et a demandé à mes parents si elle pouvait me prendre en tutelle« , un entraînement six jours sur sept, à hauteur de trois-quatre heures par jour en somme. « Arrivée à 18 ans j’avais la sensation de ne plus avancer. J’ai alors demandé conseil à ma tutrice. Comme elle avait beaucoup voyagé en Inde, au Pakistan, en Syrie… elle m’a dit « va vers la danse indienne ». J’ai pris mon sac à dos et je suis partie à Katmandou. »

Curieuse de nature, Maud pénètre dans une maison pour observer de plus près un temple… et tombe au milieu d’une cérémonie bouddhiste privée du peuple newar. « Moi sur le coup je me suis dit « c’est magnifique je veux faire ça! « , ce n’est qu’à la fin que j’ai compris que je n’aurais jamais du voir cette cérémonie« , explique la danseuse. S’entament alors de longues discussions pour persuader les maîtres de l’initier à ces danses. « Les maîtres musiciens newar m’ont expliqué que s’il n’y avait pas d’écoles c’était parce qu’à l’origine, les danseurs se trouvaient derrière un voile de coton. La danse était réservée aux moines. Mais tous pouvaient y accéder car vers l’âge de 12 ans, les enfants connaissaient une période ascétique où ils étaient initiés à la danse, à la musique et au chant« .

Maud passe alors des auditions devant les différents maîtres Newar. Sa danse est observée, sa spiritualité testée et une première danse lui est alors enseignée. Celle de Manjushree. Les habitants commencent d’ailleurs à l’appeler ainsi. C’était il y a 17 ans. « Je ne comprenais pas pourquoi on m’appelait comme ça alors j’ai fait des recherches« , confie Maud, qui porte aujourd’hui également le nom de Manjushree. « La légende raconte que Manjushree ne meurt jamais et revient tous les ans au Népal. Son nom est souvent donné aux philosophes. Il représente la philosophie à travers l’art« .

Maud est alors formée par différents maîtres en astrologie, bouddhisme, sanscrit… elle a également des maîtres uniquement consacrés à la danse. Différents grades sont décernés, Maud a atteint le dernier. « Nous sommes cinq dans le monde a avoir été formés. Certains danseurs ne peuvent pas aller jusqu’au bout car le corps ne suit pas. Cette formation modifie notre schéma intérieur, ça peut donc être dangereux « , explique-t-elle. Son dernier maître a voulu atteindre le dernier grade lui aussi, mais a perdu l’esprit. Son phyique s’ en est même retrouvé altéré. « Avant d’essayer d’atteindre ce grade, les maîtres font passer des tests. Si l’un d’entre eux dit non, ça s’arrête la« , déclare la danseuse, catégorique.

Une pratique de « délivrance et de méditation »

Ici, danse et spiritualité sont étroitement imbriquées. Dans le bouddhisme vajrayana, il existe cinq bouddhas et cinq bodhisattva -bouddhas au féminin- que l’on appelle également les taras. Les bouddhas représentent le véhicule matériel de nos pensées, les cinq éléments (eau, terre, feu, air et espace). Les taras, elles, sont les cinq mères, qui incarnent les sensations sensorielles. Elles sont associées à nos sens mais également à des couleurs. La tara bleue pour la médecine, la réincarnation, associée à l’ouïe. La tara blanche pour l’éveil, la connaissance, associée à la vue. La tara jaune pour la prospérité, associée au goût. La tara rouge pour brûler nos désirs, associée au toucher. Enfin la tara verte qui englobe tout, liée également à la respiration -et donc à l’odorat.

« Il s’agit d’un bouddhisme où tout est autorisé, dans une certaine mesure. S’il y a des interdictions, il y a des désirs. Accorder la liberté, ça permet aux personnes d’établir leurs propres limites« , nous explique Maud, qui possède un temple -un autel- chez elle. Chaque danse renferme en son sein un enseignement. L’une peut apporter des connaissances sur le monde, l’autre permet de se libérer de ses problèmes, une autre encore prend l’énergie mauvaise qui nous entoure pour la transformer en bonne énergie. « Chaque danse est une philosophie avant tout », confie Maud, « quand je suis arrivée au Népal, je voulais juste danser. Au fur et à mesure, j’ai compris que c’était une pratique de délivrance et de méditation« .

Au programme de ce matin : l'enseignement de la tara blanche.Lorsque nous évoluons dans le monde qui nous entoure, chaque mouvement que l’on produit a une conséquence. Dans la danse de Manjushree, tout a une signification, un objectif. « Il s’agit de prendre conscience de ce qui se passe autour de nous mais aussi de gérer ce qui se passe à l’intérieur de nous. La danse est un acte bienfaiteur qui modifie ce qui t’entoure en énergie positive« , pouvoir contrôler les répercussions que nos mouvements produisent sur l’univers en somme. L’idée est d’apprendre à regarder ses propres démons et à les utiliser comme une force. C’est ce qui a été enseigné à Maud des années durant, au cours de ses nombreux allers-retours entre le Népal et la France.

Emportée par ce monde nouveau qu’elle découvre, la jeune femme cherche alors à comprendre pourquoi ces connaissances ne sont pas plus largement partagées. « Il y a eu un conseil entre les maîtres, les prêtres et les astrologues sur le sujet. Il était hors de question de théâtraliser la pratique car elle est là pour la spiritualité ». Désormais, le public a accès à la pratique révélée tandis que la pratique secrète continue de n’être transmise qu’entre le maître et son élève.

Maud, elle, a décidé en 2001 de créer sa propre compagnie de danse à Lille : la compagnie Manjushree. Elle y enseigne différentes formes de danses indiennes, et, à travers des ateliers spécifiques, elle transmet le savoir de la danse bouddhiste. Ici, pas de glorification du danseur, cela dénaturerait la pratique spirituelle à laquelle les maîtres sont si attachés. A travers ses ateliers de trois ou quatre heures, Maud cherche avant tout à ce que ses élèves « se sentent bien« . Ils ne deviennent pas des initiés mais se voient instiller « des graines de plantes« . A eux, selon la danseuse, de décider de les arroser ou non. « Si je donnais des cours plus souvent, je pourrais devenir un vrai jardinier« , plaisante-t-elle.

 

Retrouvez la compagnie Manjushree à Noeux-les-Mines les 28 et 29 mars prochains pour un spectacle en collaboration avec la compagnie Sylenpso. Le spectacle comprendra notamment un chapitre sur l’explication des œuvres de l’artiste-peintre Kijno, sur la famille bouddha.
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